Depuis plus d’un an, le Parlement français est saisi de projets et propositions de lois relatifs à l’aide active au suicide, voire à l’euthanasie au nom du droit à faire cesser l’acharnement thérapeutique et de trop grandes souffrances, mais surtout au nom du droit de choisir librement sa fin de vie. Ces textes sont toujours proposés de façon positive soit pour présenter le libre choix de la fin de vie comme le couronnement d’une vie conçue comme une succession de décisions individuelles ou comme une réponse à un acharnement thérapeutique synonyme de souffrances et de coûts financiers croissants.

À ce jour, le droit français, tant dans sa législation traditionnelle que dans des lois plus récentes destinées à promouvoir les soins palliatifs et l’accompagnement de la fin de vie, est à l’opposé de ces propositions. Il affirme en effet que le droit à la vie et son respect se comprennent de la naissance à la mort, qu’il s’agisse d’interdire l’euthanasie ou l’incitation au suicide ou de ne pas prolonger inutilement l’issue par des souffrances physiques et psychiques intolérables. Contrairement à ce qui est souvent affirmé, les limites de la législation actuelle ne tiennent pas à son contenu mais à sa mise en œuvre, les moyens alloués pour les soins palliatifs étant notoirement insuffisants et ne permettant pas qu’ils soient effectivement fournis à tous les patients qui en auraient besoin dans la plupart des établissements.

C’est donc une véritable rupture juridique, éthique et sociale qui est proposée sous couvert d’une « nouvelle liberté » et dont l’Académie catholique de France appelle le législateur et l’opinion à mesurer tous les risques et toutes les conséquences[1].

Le présent rapport a été élaboré par un groupe d’éminents juristes membres du Corps académique de l’Académie catholique de France : Mme Yvonne Flour, professeur émérite à l’université Paris I-Panthéon-Sorbonne, M. Guillaume Drago, professeur à l’université Paris-Panthéon-Assas et M. Laurent Leveneur, professeur à l’université Paris-Panthéon-Assas.

Il a été approuvé par le Conseil scientifique de l’Académie catholique de France.

     I.            La fin de vie : état de la question

1.      Le droit français sur les soins palliatifs, l’euthanasie et l’aide au suicide

A.     Droit positif

Le droit français actuel proclame le droit aux soins palliatifs, et prohibe l’euthanasie et l’aide au suicide.

a.      Droit aux soins palliatifs

Le droit français ouvre un véritable droit aux soins palliatifs. Depuis la loi du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs, c’est l’un droits des malades énoncés dans le Code de la santé publique, dont l’article L. 1110-9 proclame que « Toute personne malade dont l’état le requiert a le droit d’accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement ». Et l’article suivant en donne une définition : « Les soins palliatifs sont des soins actifs et continus pratiqués par une équipe interdisciplinaire en institution ou à domicile. Ils visent à soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage » (article L. 1110-10).

L’article L. 1110-5, alinéa 2, du même code ajoute que « Toute personne a le droit d’avoir une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance. Les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour que ce droit soit respecté ». Et lorsque des soins curatifs sont arrêtés pour éviter une obstination déraisonnable, la loi rappelle encore que « le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa vie en dispensant les soins palliatifs mentionnés à l’article L. 1110-10 » (article L. 1110-5-1, al. 3).

Enfin, depuis la loi du 2 février 2016 peut être mise en œuvre, « à la demande du patient d’éviter toute souffrance et de ne pas subir d’obstination déraisonnable, une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu’au décès, associée à une analgésie et à l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie » dans deux cas : « 1° Lorsque le patient atteint d’une affection grave et incurable et dont le pronostic vital est engagé à court terme présente une souffrance réfractaire aux traitements ; / 2° Lorsque la décision du patient atteint d’une affection grave et incurable d’arrêter un traitement engage son pronostic vital à court terme et est susceptible d’entraîner une souffrance insupportable » (article L. 1110-5-2).

Ainsi, s’agissant des soins palliatifs, ce ne sont pas les textes qui seraient actuellement insuffisants, mais les moyens de leur mise en œuvre concrète partout sur le territoire national.

b.      Interdiction de l’euthanasie et de l’aide au suicide

Le droit pénal français actuel édicte plusieurs incriminations qui représentent autant d’interdictions d’accomplir des faits qui seraient constitutifs d’euthanasie ou d’aide au suicide.

 

1) D’abord, il réprime et donc interdit, d’une façon générale le meurtre, et d’une façon plus particulière l’empoisonnement.

Le meurtre est le fait de donner volontairement la mort à autrui. L’article 221-1 du Code pénal en fait un crime, puni de trente ans de réclusion (article 221-1 du Code pénal : « Le fait de donner volontairement la mort à autrui constitue un meurtre. Il est puni de trente ans de réclusion criminelle »). Aucune exception n’est prévue pour le cas où la personne demanderait qu’on lui donne la mort : il n’y a pas d’exception d’euthanasie.

L’empoisonnement est le fait d’attenter à la vie d’autrui par l’emploi ou l’administration de substances de nature à entraîner la mort. L’article 221-5 du Code pénal en fait là aussi un crime, puni de trente ans de réclusion.

Dans les deux cas, la répression est encore aggravée lorsque le crime de meurtre ou d’empoisonnement est accompli dans certaines circonstances définies par la loi, et spécialement dans le cas où il est commis « sur une personne dont la particulière vulnérabilité due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur » (article 221-4, 3°, et 221-5 du Code pénal). La peine encourue est alors la réclusion criminelle à perpétuité.

 

2) Ensuite, le droit français réprime la provocation au suicide.

Il le fait depuis une loi du 31 décembre 1987 qui avait été adoptée à la suite de l’émoi suscité par la publication quelques années auparavant d’un livre intitulé Suicide, mode d’emploi. Depuis lors, l’article 223-13 du Code pénal en fait un délit : « Le fait de provoquer au suicide d’autrui est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende lorsque la provocation a été suivie du suicide ou d’une tentative de suicide. / Les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende lorsque la victime de l’infraction définie à l’alinéa précédent est un mineur de quinze ans ».

En outre, l’article 223-14 du même code punit de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende « la propagande ou la publicité, quel qu’en soit le mode, en faveur de produits, d’objets ou de méthodes préconisés comme moyens de se donner la mort ».

 

3) Enfin le droit pénal punit l’abstention volontaire de porter assistance à une personne en péril.

Aux termes de l’article 223-6 du Code pénal, « Quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l’intégrité corporelle de la personne s’abstient volontairement de le faire est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. / Sera puni des mêmes peines quiconque s’abstient volontairement de porter à une personne en péril l’assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours. / Les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende lorsque le crime ou le délit contre l’intégrité corporelle de la personne mentionnée au premier alinéa est commis sur un mineur de quinze ans ou lorsque la personne en péril mentionnée au deuxième alinéa est un mineur de quinze ans ».

C’est cette infraction qui a été retenue contre l’auteur du livre Suicide, mode d’emploi, qui, consulté par une personne désireuse de se donner la mort, s’était abstenu, soit d’user de l’influence qu’il pouvait avoir pour la dissuader, soit d’alerter une association de prévention, et avait fourni au désespéré les renseignements demandés sur la dose mortelle d’un médicament cité dans le livre (Cass. crim. 26 avr. 1988 : D. 1988, p. 479, note H. Fenaux).

Elle l’a été également à l’encontre de surveillants d’une prison qui s’étaient contentés d’observer un détenu suicidaire sans intervenir, alors qu’ils ne pouvaient qu’avoir conscience du péril grave, réel et imminent encouru par ce détenu (Cass. crim. 9 sept. 2015, n° 14-83.725).

Une aide au suicide entre a fortiori dans cette incrimination.

B.      Droit prospectif

a.      L’avis 139 du Comité consultatif national d’éthique (C.C.N.E.)

Dans cet avis rendu public le 13 septembre 2022, le C.C.N.E. recommande d’abord d’imposer « les soins palliatifs parmi les priorités des politiques de santé publique » : constatant une mise en œuvre très insuffisante de la législation en vigueur, il recommande une politique volontariste « qui n’appelle pas de réforme législative mais engage des mesures permettant d’aboutir dans les meilleurs délais à une intégration des soins palliatifs dans la pratique de tous les professionnels de santé et en tous lieux de soins » (recommandation n° 1).

Ensuite, s’interrogeant sur les repères éthiques en cas de dépénalisation de l’aide active à mourir, le C.C.N.E. recommande, si le législateur décide de légiférer sur l’aide active à mourir, d’ouvrir « un accès légal à une assistance au suicide aux personnes majeures atteintes de maladies graves et incurables, provoquant des souffrances physiques ou psychiques réfractaires, dont le pronostic vital est engagé à moyen terme » (recommandation n° 15).

Puis le C.C.N.E. estime que « laisser en dehors du champ de la loi ceux qui ne sont physiquement plus aptes à un tel geste soulèverait un problème d’égalité des citoyens ». À cet égard, il constate une division : « certains proposent que ces patients puissent disposer en outre d’un accès légal à l’euthanasie sous la même condition d’un pronostic vital engagé à horizon de moyen terme. D’autres estiment que la loi ne doit pas établir d’exception à l’interdit de donner la mort et souhaitent que les décisions médicales face à des cas exceptionnels soient laissées le cas échéant à l’appréciation du juge ». Le C.C.N.E. laisse au législateur la responsabilité de trancher ce débat (recommandation n° 16).

L’avis publié est accompagné d’une réserve qu’ont tenu à formuler certains membres du C.C.N.E., qui estiment qu’une éventuelle évolution législative ne pourrait être discutée qu’après plusieurs prérequis, notamment que soit d’ores et déjà effectifs un accès aux soins palliatifs et un accompagnement global et humain pour toute personne en fin de vie. En outre, ils soulèvent plusieurs inquiétudes devant le message qu’enverrait cette évolution législative aux personnes gravement malades, handicapées ou âgées (ne risque-t-elle pas d’être perçue comme le signe que certaines vies ne méritent pas d’être vécues ? et comment la concilier avec la nécessaire prévention du suicide ?), ainsi qu’au personnel soignant (car pour de nombreux soignants, l’assistance au suicide et l’euthanasie sont contraires à la vocation et au sens du devoir médical et du soin, ainsi qu’au serment d’Hippocrate).

b.      Projet ou proposition de loi

1)      Le projet de loi (n° 2462) relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie

Déposé par le gouvernement de M. Attal le 10 avril 2024, ce projet a été débattu et amendé par une commission spéciale à l’Assemblée nationale le 18 mai 2024. Il a fait l’objet d’une discussion en séance publique le 27 mai, mais le processus a été interrompu par la dissolution. Il pourrait reprendre en 2025.

Ce projet prévoit d’abord de renforcer les soins d’accompagnement, les soins palliatifs et les droits des malades. Il s’agit tout particulièrement de garantir le droit de bénéficier de soins palliatifs à toute personne dont l’état de santé le requiert. Les agences régionales de santé seraient chargées de garantir l’effectivité de ce droit. Un recours amiable puis éventuellement contentieux est en outre prévu à cette fin.

Le projet prévoit ensuite d’aider à mourir. Il définit et autorise l’aide à mourir par l’insertion dans le Code de la santé publique d’un nouvel article L. 1111-12-1 qui serait ainsi rédigé : « I. – L’aide à mourir consiste à autoriser et à accompagner une personne qui en a exprimé la demande à recourir à une substance létale, dans les conditions et selon les modalités prévues aux articles L. 1111‑12‑2 à L. 1111‑12‑7, afin qu’elle se l’administre ou, lorsqu’elle n’est pas en mesure physiquement d’y procéder, se la fasse administrer par un médecin, un infirmier ou une personne majeure qu’elle désigne et qui se manifeste pour le faire. Cette dernière ne peut percevoir aucune rémunération ou gratification à quelque titre que ce soit en contrepartie de sa désignation. Elle est accompagnée et assistée par le médecin ou l’infirmier. / II. – L’aide à mourir est un acte autorisé par la loi au sens de l’article 122‑4 du Code pénal. »

 

Le projet fixe aussi des conditions d’accès à cette aide à mourir. La personne doit :

« 1° Être âgée d’au moins dix‑huit ans ;

« 2° Être de nationalité française ou résider de façon stable et régulière en France ;

« 3° Être atteinte d’une affection grave et incurable en phase avancée ou terminale ;

« 4° Présenter une souffrance physique, accompagnée éventuellement d’une souffrance psychologique liée à cette affection, qui est soit réfractaire aux traitements, soit insupportable lorsque la personne ne reçoit pas de traitement ou a choisi d’arrêter d’en recevoir ;

« 5° Être apte à manifester sa volonté de façon libre et éclairée. »

 

Cette aide à mourir consiste pour un médecin à prescrire une substance létale, qui est ensuite préparée par une pharmacie à usage intérieur, puis transmise à une pharmacie d’officine, qui la délivre au médecin ou à l’infirmier chargé d’accompagner la personne.

L’administration de la substance létale est ensuite « effectuée par la personne elle‑même » (article 11, III, al. 1 du projet de loi n° 2462). Cela correspond à l’assistance au suicide évoqué par le C.C.N.E.

Toutefois, le texte poursuit en envisageant un rôle encore plus actif du médecin ou de l’infirmier, voire d’un tiers : lorsque la personne « n’est pas en mesure d’y procéder physiquement, l’administration est effectuée, à sa demande, soit par une personne volontaire qu’elle désigne lorsque aucune contrainte n’y fait obstacle, soit par le professionnel de santé présent » (article 11, III, al. 2, du projet de loi n° 2462). Le texte ne qualifie pas cette situation, mais elle correspond à l’accès légal à l’euthanasie sur lequel le C.C.N.E. s’était interrogé. Lors de l’examen du texte par la commission spéciale, la condition d’impossibilité physique de s’administrer soi-même la substance a été supprimée et remplacée par la désignation par la personne souhaitant mourir d’une personne majeure acceptant la responsabilité d’administrer la substance sous le contrôle du professionnel de santé.

 

Enfin, le projet prévoit une clause de conscience dans les termes suivants : « Les professionnels de santé mentionnés à l’article 7, ainsi qu’aux I à V et au premier alinéa du VI de l’article 8, ne sont pas tenus de concourir à la mise en œuvre des dispositions prévues aux chapitres II et III. / Le professionnel de santé qui ne souhaite pas participer à la mise en œuvre de ces dispositions doit informer, sans délai, la personne de son refus et lui communiquer le nom de professionnels de santé susceptibles d’y participer » (article 16, I).

En revanche, la même clause n’est pas prévue au profit des établissements de santé ou établissements et services sociaux et médico-sociaux (spécialement ceux qui accueillent des personnes âgées), qui sont tenus de permettre l’intervention des professionnels de santé chargés de recueillir la demande d’aide à mourir ou de participer à l’administration de la substance létale (article 16, II).

2)      La proposition de loi n° 204 déposée par M. Falorni

Le projet de loi n° 2462 n’avait été examiné en séance publique à l’Assemblée nationale que jusqu’à l’article 7 lorsque la dissolution est intervenue le 9 juin 2024. Après les élections législatives, le député M. Olivier Falorni a déposé le 17 septembre 2024 une proposition de loi relative à l’accompagnement des malades et à la fin de vie. Cette proposition, qui vise à poursuivre le chemin législatif interrompu, reprend intégralement le texte amendé par la commission spéciale de l’Assemblée nationale le 18 mai 2024, ainsi que les amendements qui avaient été adoptés en séance publique.

Toutefois, le projet de loi n° 2462 étant devenu caduc du fait de la dissolution, il serait nécessaire de reprendre tout le processus législatif du texte qui serait à nouveau inscrit à l’ordre du jour des travaux parlementaires, qu’il s’agisse de cette proposition de loi ou d’un nouveau projet de loi.

3)      Scission en deux projets

En février 2025, le Premier ministre, M. François Bayrou, a manifesté l’intention de scinder l’examen de la question au Parlement en deux projets de loi distincts, l’un sur les soins palliatifs, l’autre sur l’aide à mourir. C’est ainsi que deux propositions de loi ont effectivement été déposées à l’Assemblée nationale le 11 mars 2025, l’une par Mme Vidal, « relative aux soins palliatifs et d’accompagnement » (proposition de loi n° 1102), l’autre par M. Falorni, intitulée « relative à la fin de vie » (proposition de loi n° 1100), qui ne traite que de l’aide à mourir. L’examen de ces textes est envisagé pour le mois de mai 2025.

 

Pour conclure sur l’état de la question en droit français, celui-ci défend actuellement parfaitement la vie des personnes. Introduire l’assistance au suicide et l’euthanasie viendrait affecter gravement la cohérence de dispositions majeures de l’ordre juridique.

2.     La position de l’Église catholique

La position de l’Église catholique relative à la fin de vie est claire : elle considère que l’euthanasie et le suicide, y compris avec l’assistance d’une tierce personne, sont gravement contraires à la loi morale et ne peuvent être autorisés par la loi civile de l’État.

A.     Catéchisme de l’Église catholique

De ce point de vue, le Catéchisme de l’Église catholique (CEC) est tout à fait explicite et doit être rappelé. Le fondement de ce principe est inscrit dans l’Écriture sainte, particulièrement dans l’Ancien Testament, au Livre de l’Exode, c’est-à-dire dans la Loi confiée par Dieu au Peuple élu, le Peuple juif et qui constitue le cinquième commandement : « Tu ne commettras pas de meurtre » (Exode, XX, 13). Le Nouveau Testament, témoignant de la vie du Christ Jésus et de ses paroles, énonce également clairement : « Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens : “Tu ne tueras pas. Celui qui tuera sera passible du jugement.” Et moi, je vous dis que quiconque se met en colère contre son frère sera passible du jugement » (Évangile selon saint Matthieu, V, 21-22).

Le Catéchisme de l’Église catholique tire de ces paroles divines une conclusion destinée aux hommes et femmes de notre temps en déclarant que (n° 2258) : « La vie humaine est sacrée parce que, dès son origine, elle comporte l’action créatrice de Dieu et demeure pour toujours dans une relation spéciale avec le Créateur, son unique fin. Dieu seul est le maître de la vie de son commencement à son terme : personne en aucune circonstance ne peut revendiquer pour soi le droit de détruire directement un être humain innocent » (cf. Congrégation pour la Doctrine de la foi, instruction Donum vitæ, introduction, n° 5).

Le même Catéchisme en tire des conclusions nettes, tant en ce qui concerne l’euthanasie que le suicide, y compris assisté :

a.      L’euthanasie

N° 2276 : « Ceux dont la vie est diminuée ou affaiblie réclament un respect spécial. Les personnes malades ou handicapées doivent être soutenues pour mener une vie aussi normale que possible ».

N° 2277 : « Quels qu’en soient les motifs et les moyens, l’euthanasie directe consiste à mettre fin à la vie de personnes handicapées, malades ou mourantes. Elle est moralement irrecevable. / Ainsi une action ou une omission qui, de soi ou dans l’intention, donne la mort afin de supprimer la douleur, constitue un meurtre gravement contraire à la dignité de la personne humaine et au respect du Dieu vivant, son Créateur. L’erreur de jugement dans laquelle on peut être tombé de bonne foi, ne change pas la nature de cet acte meurtrier, toujours à proscrire et à exclure ».

N° 2278 : « La cessation de procédures médicales onéreuses, périlleuses, extraordinaires ou disproportionnées avec les résultats attendus peut être légitime. C’est le refus de “l’acharnement thérapeutique”. On ne veut pas ainsi donner la mort ; on accepte de ne pas pouvoir l’empêcher. Les décisions doivent être prises par le patient s’il en a la compétence et la capacité, ou sinon par les ayants droit légaux, en respectant toujours la volonté raisonnable et les intérêts légitimes du patient ».

N° 2279 : « Même si la mort est considérée comme imminente, les soins ordinairement dus à une personne malade ne peuvent être légitimement interrompus. L’usage des analgésiques pour alléger les souffrances du moribond, même au risque d’abréger ses jours, peut être moralement conforme à la dignité humaine si la mort n’est pas voulue, ni comme fin ni comme moyen, mais seulement prévue et tolérée comme inévitable[2]. Les soins palliatifs constituent une forme privilégiée de la charité désintéressée. À ce titre ils doivent être encouragés ».

b.      Le suicide

N° 2280 : « Chacun est responsable de sa vie devant Dieu, qui la lui a donnée. C’est Lui qui en reste le souverain Maître. Nous sommes tenus de la recevoir avec reconnaissance et de la préserver pour son honneur et le salut de nos âmes. Nous sommes les intendants et non les propriétaires de la vie que Dieu nous a confiée. Nous n’en disposons pas ».

N° 2281 : « Le suicide contredit l’inclination naturelle de l’être humain à conserver et à perpétuer sa vie. Il est gravement contraire au juste amour de soi. Il offense également l’amour du prochain, parce qu’il brise injustement les liens de solidarité avec les sociétés familiale, nationale et humaine à l’égard desquelles nous demeurons obligés. Le suicide est contraire à l’amour du Dieu vivant ».

N° 2282 : « S’il est commis dans l’intention de servir d’exemple, notamment pour les jeunes, le suicide prend encore la gravité d’un scandale. La coopération volontaire au suicide est contraire à la loi morale. / Des troubles psychiques graves, l’angoisse ou la crainte grave de l’épreuve, de la souffrance ou de la torture peuvent diminuer la responsabilité du suicidaire ».

N° 2283 : « On ne doit pas désespérer du salut éternel des personnes qui se sont donné la mort. Dieu peut leur ménager, par les voies que lui seul connaît, l’occasion d’une salutaire repentance. L’Église prie pour les personnes qui ont attenté à leur vie ».

B.      Déclarations de la Congrégation pour la Doctrine de la foi

La position de l’Église catholique est aussi présentée dans deux documents de la Congrégation pour la Doctrine de la foi qui développent amplement ces points.

a.      Déclaration Jura et bona sur l’euthanasie et sur l’observation d’un usage thérapeutique droit et proportionné des médicaments analgésiques du 5 mai 1980

Cette déclaration rappelle d’abord la valeur de la vie humaine, condamne tant l’euthanasie que le suicide assisté et met l’accent sur la juste utilisation de médicaments analgésiques et l’usage proportionné des moyens thérapeutiques en présence d’une personne en fin de vie.

b.      Lettre Samaritus bonus sur le soin des personnes en phases critiques et terminales de la vie du 14 juillet 2020.

Ce second texte, plus substantiel (une trentaine de pages), propose une synthèse complète de la position de l’Église catholique sur la valeur infinie de la vie humaine et rappelle l’enseignement du Magistère sur la question de la fin de vie :

  1. L’interdiction de l’euthanasie et du suicide assisté.
  2. L’obligation morale d’exclure l’acharnement thérapeutique.
  3. Les soins de base : le devoir d’alimentation et d’hydratation.
  4. Les soins palliatifs.
  5. Le rôle de la famille et les maisons de soins palliatifs.
  6. L’accompagnement et les soins prénataux et pédiatriques.
  7. Thérapies analgésiques et suppression de la conscience.
  8. L’état végétatif et l’état de conscience minimale.
  9. L’objection de conscience de la part des personnels de santé et des établissements de santé catholiques.
  10. L’accompagnement pastoral et le soutien des sacrements.
  11. Le discernement pastoral à l’égard de ceux qui demandent l’euthanasie ou le suicide assisté.
  12. La réforme du système éducatif et de la formation des personnels de santé.

Ce document significatif constitue un texte de référence qui reprend le magistère de l’Église catholique sur ces sujets, en citant spécialement les récents papes qui ont pris position sur ces questions : Jean-Paul II, Benoît XVI, François. Les références principales sont celles de la lettre encyclique de Jean-Paul II Evangelium vitæ du 25 mars 1995.

C.      Encyclique Evangelium vitæ du 25 mars 1995

L’encyclique Evangelium vitæ du 25 mars 1995 est le texte majeur auquel il faut se référer, en particulier parce qu’il engage la doctrine majeure de l’Église catholique et que le pape Jean-Paul II l’a déclaré tel[3]. Jean-Paul II énonce ainsi les principes qui conduisent à interdire le recours à l’euthanasie et au suicide assisté :

 

  1. 65. Pour porter un jugement moral correct sur l’euthanasie, il faut avant tout la définir clairement. Par euthanasie au sens strict, on doit entendre une action ou une omission qui, de soi et dans l’intention, donne la mort afin de supprimer ainsi toute douleur. « L’euthanasie se situe donc au niveau des intentions et à celui des procédés employés (76).»

Il faut distinguer de l’euthanasie la décision de renoncer à ce qu’on appelle « l’acharnement thérapeutique », c’est-à-dire à certaines interventions médicales qui ne conviennent plus à la situation réelle du malade, parce qu’elles sont désormais disproportionnées par rapport aux résultats que l’on pourrait espérer ou encore parce qu’elles sont trop lourdes pour lui et pour sa famille. Dans ces situations, lorsque la mort s’annonce imminente et inévitable, on peut en conscience « renoncer à des traitements qui ne procureraient qu’un sursis précaire et pénible de la vie, sans interrompre pourtant les soins normaux dus au malade en pareil cas » (77). Il est certain que l’obligation morale de se soigner et de se faire soigner existe, mais cette obligation doit être confrontée aux situations concrètes ; c’est-à-dire qu’il faut déterminer si les moyens thérapeutiques dont on dispose sont objectivement en proportion avec les perspectives d’amélioration. Le renoncement à des moyens extraordinaires ou disproportionnés n’est pas équivalent au suicide ou à l’euthanasie ; il traduit plutôt l’acceptation de la condition humaine devant la mort (78).

Dans la médecine moderne, ce qu’on appelle les « soins palliatifs » prend une particulière importance ; ces soins sont destinés à rendre la souffrance plus supportable dans la phase finale de la maladie et à rendre possible en même temps pour le patient un accompagnement humain approprié. Dans ce cadre se situe, entre autres, le problème de la licéité du recours aux divers types d’analgésiques et de sédatifs pour soulager la douleur du malade, lorsque leur usage comporte le risque d’abréger sa vie. De fait, si l’on peut juger digne d’éloge la personne qui accepte volontairement de souffrir en renonçant à des interventions anti-douleur pour garder toute sa lucidité et, si elle est croyante, pour participer de manière consciente à la Passion du Seigneur, un tel comportement « héroïque » ne peut être considéré comme un devoir pour tous. Pie XII avait déjà déclaré qu’il est licite de supprimer la douleur au moyen de narcotiques, même avec pour effet d’amoindrir la conscience et d’abréger la vie, « s’il n’existe pas d’autres moyens, et si, dans les circonstances données, cela n’empêche pas l’accomplissement d’autres devoirs religieux et moraux (79) ». Dans ce cas, en effet, la mort n’est pas voulue ou recherchée, bien que pour des motifs raisonnables on en coure le risque : on veut simplement atténuer la douleur de manière efficace en recourant aux analgésiques dont la médecine permet de disposer. Toutefois, « il ne faut pas, sans raisons graves, priver le mourant de la conscience de soi (80) » : à l’approche de la mort, les hommes doivent être en mesure de pouvoir satisfaire à leurs obligations morales et familiales, et ils doivent surtout pouvoir se préparer en pleine conscience à leur rencontre définitive avec Dieu.

Ces distinctions étant faites, en conformité avec le Magistère de mes Prédécesseurs (81) et en communion avec les évêques de l’Église catholique, je confirme que l’euthanasie est une grave violation de la Loi de Dieu, en tant que meurtre délibéré moralement inacceptable d’une personne humaine. Cette doctrine est fondée sur la loi naturelle et sur la Parole de Dieu écrite ; elle est transmise par la Tradition de l’Église et enseignée par le Magistère ordinaire et universel (82)[4].

Une telle pratique comporte, suivant les circonstances, la malice propre au suicide ou à l’homicide.

 

(76) Congrégation pour la Doctrine de la foi, Déclaration sur l’euthanasie Iura et bona (5 mai 1980), II : AAS 72 (1980), p. 546.

(77) Ibid., IV, l. c., p. 551.

(78) Cf. ibid.

(79) Discours à un groupe international de médecins (24 février 1957), III : AAS 49 (1957), p. 147; cf. Congrégation pour la Doctrine de la foi, Déclar. sur l’euthanasie Iura et bona (5 mai 1980), III : AAS 72 (1980), p. 547-548.

(80) Pie XII, Discours à un groupe international de médecins (24 février 1957), III : AAS 49 (1957), p. 145.

(81) Cf. Pie XII, Discours à un groupe international de médecins (24 février 1957) : AAS 49 (1957), p. 129-147 ; Congrégation du Saint-Office, Decretum de directa insontium occisione (2 décembre 1940) : AAS 32 (1940), p. 553-554 ; Paul VI, Message à la télévision française : « Toute vie est sacrée » (27 janvier 1971) : Insegnamenti IX (1971), p. 57-58 (La Documentation catholique, 1971, p. 156) ; Discours à l’International College of Surgeons (1er juin 1972) : AAS 64 (1972), p. 432-436 ; GS 27.

(82) LG 25.

 

  1. 66. Or, le suicide est toujours moralement inacceptable, au même titre que l’ La tradition de l’Église l’a toujours refusé, le considérant comme un choix gravement mauvais (83). Bien que certains conditionnements psychologiques, culturels et sociaux puissent porter à accomplir un geste qui contredit aussi radicalement l’inclination innée de chacun à la vie, atténuant ou supprimant la responsabilité personnelle, le suicide, du point de vue objectif, est un acte gravement immoral, parce qu’il comporte le refus de l’amour envers soi-même et le renoncement aux devoirs de justice et de charité envers le prochain, envers les différentes communautés dont on fait partie et envers la société dans son ensemble (84). En son principe le plus profond, il constitue un refus de la souveraineté absolue de Dieu sur la vie et sur la mort, telle que la proclamait la prière de l’antique sage d’Israël: « C’est toi qui as pouvoir sur la vie et sur la mort, qui fais descendre aux portes de l’Hadès et en fais remonter» Sg 16,13, Tb 13,2.

Partager l’intention suicidaire d’une autre personne et l’aider à la réaliser, par ce qu’on appelle le « suicide assisté », signifie que l’on se fait collaborateur, et parfois soi-même acteur, d’une injustice qui ne peut jamais être justifiée, même si cela répond à une demande. « Il n’est jamais licite — écrit saint Augustin avec une surprenante actualité — de tuer un autre, même s’il le voulait, et plus encore s’il le demandait parce que, suspendu entre la vie et la mort, il supplie d’être aidé à libérer son âme qui lutte contre les liens du corps et désire s’en détacher ; même si le malade n’était plus en état de vivre, cela n’est pas licite » (85). Alors même que le motif n’est pas le refus égoïste de porter la charge de l’existence de celui qui souffre, on doit dire de l’euthanasie qu’elle est une fausse pitié, et plus encore une inquiétante « perversion » de la pitié : en effet, la vraie « compassion » rend solidaire de la souffrance d’autrui, mais elle ne supprime pas celui dont on ne peut supporter la souffrance. Le geste de l’euthanasie paraît d’autant plus une perversion qu’il est accompli par ceux qui — comme la famille — devraient assister leur proche avec patience et avec amour, ou par ceux qui, en raison de leur profession, comme les médecins, devraient précisément soigner le malade même dans les conditions de fin de vie les plus pénibles.

Le choix de l’euthanasie devient plus grave lorsqu’il se définit comme un homicide que des tiers pratiquent sur une personne qui ne l’a aucunement demandé et qui n’y a jamais donné aucun consentement. On atteint ensuite le sommet de l’arbitraire et de l’injustice lorsque certaines personnes, médecins ou législateurs, s’arrogent le pouvoir de décider qui doit vivre et qui doit mourir. Cela reproduit la tentation de l’Eden : devenir comme Dieu, « connaître le bien et le mal » Gn 3,5. Mais Dieu seul a le pouvoir de faire mourir et de faire vivre : « C’est moi qui fais mourir et qui fais vivre » Dt 32,39, 2R 5,7, 1S 2,6. Il fait toujours usage de ce pouvoir selon un dessein de sagesse et d’amour, et seulement ainsi. Quand l’homme usurpe ce pouvoir, dominé par une logique insensée et égoïste, l’usage qu’il en fait le conduit inévitablement à l’injustice et à la mort. La vie du plus faible est alors mise entre les mains du plus fort ; dans la société, on perd le sens de la justice et l’on mine à sa racine la confiance mutuelle, fondement de tout rapport vrai entre les personnes.

 

(83) Cf. Saint Augustin, La Cité de Dieu, I, 20 : CCL 47, 22 ; Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, II-II 6,5.

(84) Cf. Congrégation pour la Doctrine de la foi, Déclar. sur l’euthanasie Iura et bona (5 mai 1980), Tanatos I : AAS 72 (1980), p. 545 ; CEC 2281-2283.

(85) Lettre 204, 5 : CSEL 57, 320.

 

 II.            Analyse critique des projets et propositions de loi relatives à la fin de vie

Depuis un certain temps déjà, plusieurs propositions de loi ont été présentées au Parlement, défendant l’idée d’une euthanasie et d’un suicide assisté. Plus récemment, le Gouvernement a déposé en avril 2024 sur le bureau de l’Assemblée nationale un projet de loi « relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie », n° 2462. Ce projet avait commencé à être examiné par une commission spéciale de l’Assemblée nationale et devait être examiné en séance publique en juin 2024. La dissolution de l’Assemblée nationale par le Président de la République le 9 juin 2024 a mis fin à cet examen. Ce projet de loi comportait deux volets : l’un sur les soins palliatifs, l’autre sur « l’aide active à mourir ».

En septembre 2024, après l’élection en juillet 2024 d’une nouvelle Assemblée nationale, deux propositions de loi ont été déposées, l’une sur les soins palliatifs, l’autre sur la fin de vie, comme cela a été rappelé ci-dessus (cf. I, 1, B).

Ce sont les deux textes sur « l’aide active à mourir » qui font l’objet ici d’une analyse critique.

 

Le projet de loi précité (n° 2462) entend se placer dans le prolongement d’une évolution législative qui s’étend sur une vingtaine d’années et dont l’inspiration constante est « d’affirmer la prise en compte de l’autonomie et des choix du patient et de consacrer le principe du respect de sa dignité ». « La volonté du patient, la recherche de l’apaisement et la préservation de la dignité du malade sont, nous dit-on, au cœur de toutes ces avancées législatives[5] ». Non sans quelque grandiloquence, la récente proposition de loi n° 1100 annonce « une grande et belle loi de liberté, d’égalité et de fraternité[6] ». Beaucoup de grands mots sont ainsi mobilisés pour nous convaincre que cette loi est bonne. Il est cependant permis de s’interroger sur les réalités qui s’abritent derrière ce vocabulaire soigneusement choisi pour être rassurant.

1.      Dignité

Remontons aux sources. La reconnaissance de la dignité humaine est au cœur de la vision chrétienne de l’homme. Selon les Pères de l’Église, elle procède de ce que l’homme a été créé à la ressemblance de Dieu. Elle est donc inaliénable et intrinsèque, attribuée à tout être humain de façon irrévocable depuis le début de son existence[7]. Dans notre droit, c’est par la loi du 29 juillet 1994 que ce concept a fait son entrée dans le système juridique. L’article 16 du Code civil énonce en effet : « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ». Dans une décision du 27 juillet 1994, le Conseil constitutionnel a reconnu au principe de sauvegarde de la dignité humaine, qu’il rattache au préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, la valeur d’un principe constitutionnel[8]. Mais, bien avant cette consécration législative et juridictionnelle, la notion de dignité humaine est proclamée par tout un ensemble de textes internationaux et européens :

  • par la déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée le 10 décembre 1948 par l’Assemblée générale des Nations unies, qui énonce dès le 1er alinéa de son préambule : « Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et leurs droits égaux constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde… » Affirmation solennelle reprise ensuite dans les mêmes termes par les pactes internationaux adoptés le 16 décembre 1966 par la même instance ;
  • par la Charte européenne des droits fondamentaux proclamée par l’Union le 16 décembre 2000, dans son article 1er: « La dignité humaine est inviolable. Elle doit être respectée et protégée ». L’article 2 en tire immédiatement la conséquence la plus évidente : « Toute personne a droit à la vie » ;
  • plus récemment, la Convention dite d’Oviedo[9], entrée en vigueur le 1er décembre 1999, réaffirme dans son article premier la nécessité « de protéger l’être humain dans sa dignité… et de garantir à toute personne le respect de son intégrité » ;
  • enfin, la Convention relative aux droits de personnes handicapées adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 12 décembre 2006 renvoie expressément dans le premier alinéa de son préambule aux termes de la Déclaration universelle des droits de l’homme précitée.

Or, la dignité ainsi consacrée est bien plus qu’un droit parmi d’autres droits. Elle n’est pas un simple principe parmi d’autres principes. Elle est, comme l’énoncent tous les textes précités, le fondement de l’ordre juridique et la source de tous les droits de la personne. Le premier de ces droits est précisément le droit à la vie, auquel il ne peut être porté atteinte sans ruiner le socle commun qui permet à la société de s’organiser dans la confiance. Et ce droit est « indérogeable ». Il ne supporte aucune exception, comme le déclare explicitement l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme : « La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence… » C’est en repartant de ce principe, tout en dénonçant son unique exception, que Robert Badinter expliquait l’abolition de la peine de mort : « Le droit au respect de la vie est le premier des droits de l’être humain. Respecter la vie est le premier droit de l’homme. On ne peut pas, on ne doit pas prendre la vie d’autrui[10] ».

Force est alors de constater le véritable retournement que constitue la mobilisation de ce principe de dignité au soutien d’une légalisation de l’euthanasie, même rebaptisée en aide à mourir. En réalité, c’est à une véritable captation de ce vocable que l’on assiste : un rapt n’hésite pas à écrire le docteur Ségolène Perruchio, spécialiste en soins palliatifs, une captation frauduleuse[11]. Car, en quoi la maladie, la vieillesse, la solitude, l’isolement, l’affaiblissement des capacités qui en est la conséquence, et même la souffrance, devraient-ils être jugés indignes ? Indignes de quoi ? Parce que nous nous sommes faits un idéal de vie qui ne reconnaît de valeur qu’à la réussite, l’éternelle jeunesse, la « forme » physique et intellectuelle, la performance, nous ne supportons plus l’idée du vieillissement, de la maladie et du déclin qui inévitablement les accompagnent. Mais en réalité, la dignité est, comme l’affirme très clairement la Déclaration universelle des droits de l’homme précitée, « inhérente » à tous les membres de la famille humaine, à qui elle est due de façon égale. Elle ne dépend en aucune manière du degré de performance des individus ou de leur vigueur. Ce texte rejoint ici directement la doctrine de l’Église catholique, qui enseigne que « la dignité est intrinsèque à la personne, elle est antérieure à toute reconnaissante et ne peut être perdue[12] ». De quel droit en effet prétendrions-nous nous faire juge de la valeur d’une vie ? Comment introduire des gradations dans la dignité des personnes selon leur état de santé ? Comment les personnes vieillissantes ou isolées ne se sentiraient-elles pas « de trop » si nous entendons mesurer la valeur de la vie à son utilité ? Tout se passe comme si, parce que la mort continue d’échapper à notre pouvoir malgré les progrès immenses de la science et de la médecine, nous nous bercions de l’illusion que nous en deviendrons les maîtres parce que nous en aurons choisi l’heure et l’instrument. Mais, au contraire d’un droit, le principe de dignité est une « injonction[13] » d’avoir à traiter dignement tout être humain quel que soit son état ou sa condition personnelle pour la seule raison que, pour reprendre le mot de Montaigne, « chaque homme porte en lui la forme entière de l’humaine condition[14] ».

2.     Liberté

La liberté qui nous est promise ― celle de choisir sa mort ― place la volonté de la personne au cœur du dispositif. C’est ce qui résulte du texte qui pourrait être prochainement voté (article L. 1111-12-2 du Code de la santé publique). Outre les conditions qui tiennent à son état de santé, le candidat à l’aide à mourir doit être majeur, sain d’esprit, et apte à manifester une volonté libre et éclairée. Justement, toute la question est de savoir dans quelle mesure la personne en fin de vie est vraiment capable d’une volonté libre et éclairée[15]. A-t-elle réellement compris les informations qui lui sont données par son médecin ? Est-elle en situation d’évaluer les enjeux de sa décision ? Comment s’assurer qu’elle a vraiment perçu que l’aide qui lui est proposée n’a pas pour but de soulager ses souffrances mais de mettre fin à ses jours ? Comment être sûr qu’elle ne renonce pas devant les pressions du personnel soignant, de son entourage, voire de la société en général ? Jusqu’où une personne qui souffre est-elle libre de ses choix ? Il est frappant de constater le soin que prend le droit des contrats afin de préserver l’intégrité du consentement quand il s’agit d’opérations économiques banales, au moyen d’obligations d’informations, de formes encadrant l’expression de la volonté, de délais de réflexion, de sanctions répondant à d’éventuels vices du consentement. Aucune de ces précautions qui forment le B-A, BA du droit ne se retrouve quand il s’agit de décider de sa mort. Pour ne prendre qu’un exemple, on reste stupéfait de lire dans le possible article L. 1111-12-4, IV, « qu’un délai de réflexion qui ne peut inférieur à deux jours » est laissé à celui qui demande l’administration d’une substance létale pour confirmer sa décision. Encore ce délai express peut-il être abrégé si le médecin estime que cela est de nature à préserver la dignité du patient. On peine à comprendre comment une procédure aussi expéditive pourrait préserver la dignité de qui que ce soit. Rappelons que pour souscrire un crédit immobilier, l’emprunteur se voit imposer un délai de dix jours avant de pouvoir accepter l’offre qui lui a été soumise (article L. 313-34 du Code de la consommation). Le moins que l’on puisse dire est que protéger la liberté du consentement de la personne en fin de vie ne paraît pas être la préoccupation première des promoteurs de l’euthanasie.

Reste la question sans réponse que soulève la situation de toutes les personnes qui se trouvent hors d’état de manifester leur volonté. Situation qui risque de se présenter fréquemment car les personnes en fin de vie voient presque inévitablement diminuer leurs capacités et leur lucidité. A priori, celles-ci sont donc exclues du dispositif, dès lors que, par hypothèse, elles ne sont pas aptes à manifester une volonté libre et éclairée. Pourrait-on y suppléer ? On peut se demander si cette volonté pourrait être exprimée à l’avance, dans les directives anticipées que prévoit l’article L. 1111-11 du Code de la santé publique. Or, cette éventualité présente un redoutable danger, d’autant plus insidieux que ces directives se sont vu reconnaître, par une loi du 2 février 2016, une validité qui n’est pas limitée dans le temps. L’état d’esprit d’une personne qui arrive aux portes de la mort n’est pas celui du bien portant qui, en pleine possession de ses moyens, anticipe ce qu’il éprouvera quand viendra le déclin. Les soignants en font constamment l’expérience : plus on approche de la mort, plus on s’attache à la vie. Philippe Pozzo di Borgo en apporte un témoignage saisissant : « si vous m’aviez demandé lors de mes quarante-deux ans de splendeur, avant mon accident, si j’accepterais la vie qui est la mienne depuis plus de vingt ans, j’aurais répondu sans hésiter : non, plutôt la mort[16] ! » Sous couvert d’une liberté défigurée, commente-t-il, quel terrible message adressé à ceux qui souffrent ! Ce que confirme avec force le docteur Raphaël Gourevitch, qui souligne les effets redoutables de cette anticipation. En Belgique, relate-t-il, on a pu voir des personnes ayant perdu leur lucidité à qui on impose l’absorption d’un produit létal, subrepticement ou même de force[17]. Au demeurant le Conseil constitutionnel lui-même a reconnu le caractère inopérant de ces directives dès lors qu’elles sont rédigées « à un moment où la personne ne se trouve pas encore confrontée à la situation particulière de fin de vie dans laquelle elle ne sera plus en mesure d’exprimer sa volonté en raison de la gravité de son état[18] ». Dans une telle situation, le respect de la personne n’est pas de s’attacher à une volonté dont on ne sait pas dire quelle est son actualité, mais simplement de procurer au patient les soins appropriés.

Au demeurant, l’aide à mourir ne peut relever uniquement d’un choix individuel n’engageant que la liberté de celui ou celle qui la demande. En réalité, ce qui est attendu aujourd’hui de la loi ce n’est pas la liberté de se tuer, qu’à vrai dire nul ne nous conteste, mais c’est la possibilité d’une mort administrée par la médecine et légitimée par la loi[19]. C’est le personnel médical qui « autorise » le patient à réclamer la mort. C’est encore un médecin ou un infirmier qui vont l’accompagner dans sa démarche et qui, au besoin, administreront la substance mortifère s’il ne souhaite pas le faire lui-même. Parfois aussi, c’est un « volontaire » qui, choisi parmi les proches, accepte cette délicate mission. Ainsi la liberté de choisir sa mort implique-t-elle toujours l’intervention de tiers à qui on confie le soin d’assurer le bon déroulement de l’opération, parfois d’accomplir à notre place le geste fatal. Au fond, si la demande d’euthanasie se revendique d’une liberté « ultime », c’est une liberté qui ne s’assume pas jusqu’au bout. Au moment d’agir, elle préfère s’en remettre à autrui[20]. Mais se demande-t-on comment le médecin ou l’infirmier, « sommé d’injecter » pour reprendre la formule frappante d’Erwan Le Morhedec[21], vivra d’être ainsi réduit à porter la mort, tandis que sa vocation est de soigner ? Et ce proche du patient, un conjoint, un enfant, un frère ou une sœur, comment portera-t-il dans l’avenir le poids de la responsabilité qu’il aura acceptée ? Dans une matière aussi grave, ni les uns ni les autres ne peuvent être ainsi réduits à n’être que les instruments contraints par lesquels se réalise un désir qui n’est pas le leur. Nous ne décidons pas seuls de notre destin, indépendamment de celui des autres.

3.     Égalité

Selon l’exposé des motifs de la proposition n° 1100, une grande loi d’égalité « permettrait de ne plus avoir à s’en remettre à la clandestinité où à l’exil pour éteindre la lumière de son existence ». L’argument est désormais récurrent dans tous les sujets qui touchent à l’éthique de la vie. Inévitablement, il conduit à s’aligner systématiquement sur les législations les plus libérales. Inévitablement aussi, il conduit à une extension continuelle du dispositif légal. Au nom de l’égalité, du refus de toute discrimination, toutes les limites à ce qui est présenté comme l’exercice d’un droit doivent être abandonnées, repoussées. La pente est à sens unique, le fleuve ne connaît pas de barrage[22].

En réalité, l’égalité est bien plus sûrement menacée par la perspective d’une légalisation de l’euthanasie. Car il y a lieu de craindre que l’aide à mourir soit d’abord proposée aux faibles parmi les faibles, qu’ils le soient en raison de leur état de santé, de la maladie ou du handicap, voire de la précarité économique. Un directeur d’hôpital n’hésite pas à dénoncer « l’ultime injustice sociale[23] » que constituerait l’introduction dans notre droit de l’aide à mourir. D’ores et déjà, on le sait, selon notre statut social, nous ne sommes pas égaux devant la santé. Les plus aisés vivent en moyenne treize ans de plus que les moins favorisés. À cette différence dans l’espérance de vie s’ajoutent des inégalités plus lourdes encore dans l’espérance de vie sans incapacité[24]. Comment ne pas voir que ces personnes plus fragiles que les autres seront aussi les premières à qui s’adressera l’aide à mourir ? Le même auteur nous en avertit : loin que l’euthanasie soit une conquête sociale, la réalité du vieillissement fait que les populations les plus vulnérables y seraient les plus exposées. Les expériences étrangères sont à cet égard sans appel. Au Canada par exemple, l’aide médicale à mourir peut être proposée à des patients qui, loin d’être en fin de vie, sont atteints de déficience intellectuelle ou d’autisme, ou encore qui, ne pouvant faire face à leurs dépenses de santé, vivent une détresse financière[25]. Aux Pays-Bas, l’euthanasie est désormais accessible à partir de 75 ans à des personnes qui ne présentent aucune pathologie particulière, au motif que, parvenu à cet âge, il ne reste rien à construire[26]. Imagine-t-on comment une personne vieillissante et affaiblie, pensionnaire dans un EHPAD où elle ne reçoit que de rares visites, sera en mesure de résister à la proposition qui lui sera faite de devancer la mort ? Dans plusieurs des pays qui ont introduit l’euthanasie dans leur législation, on évalue les coûts de la fin de vie et les économies que la mort programmée permet de réaliser. Au Canada encore, une croissance escomptée de 1 200 euthanasies pourrait se traduire par une économie de 149 millions de dollars en frais de santé[27]. En France même, dans un pays où le déficit de la Sécurité sociale ne cesse de se creuser d’année en année, où une part croissante du territoire se transforme en désert médical, on ne peut éviter de se poser la question : même si l’argument économique n’est jamais évoqué, sommes-nous assurés que le projet de légaliser l’aide à mourir soit entièrement indemne de toute arrière-pensée de cette nature ? À cet égard l’engagement de plusieurs mutuelles au service de cette cause ne manque pas d’interroger[28]. L’ancien vice-président du Conseil d’État Jean-Marc Sauvé le constate avec une lucidité amère : « L’aide à mourir est l’ultime ruse du libéralisme pour faire des économies sur l’État-providence[29] ».

4.     Fraternité

Comme le dénonce avec tristesse Mgr de Moulins-Beaufort, il faut une certaine audace pour qualifier « loi de fraternité » un texte dont l’objet est de nous autoriser à donne la mort à ceux qui arrivent en fin de vie[30]. Nous ne sommes pas très loin de ce que la novlangue de George Orwell appelait le ministère de l’Amour. Voici venu le règne du contremot.

En réalité, c’est le plus souvent l’isolement et le sentiment d’abandon, la crainte de peser sur la vie des autres, la conscience d’être « en trop » et finalement le désespoir qui, plus encore que la souffrance et le déclin, expliquent la demande d’euthanasie. Car la souffrance peut être soulagée, le vieillissement fait partie de la condition humaine, mais dans un monde qui serait réellement fraternel, la solitude n’est pas une fatalité. La plupart des soignants, notamment ceux qui œuvrent dans les services de soins palliatifs, en apporte le témoignage constant : le plus souvent, la demande de mort assistée prend fin dès lors que le patient est pris en charge, accompagné et soutenu. Par exemple, dans l’établissement parisien Jeanne-Garnier, au cours des années 2010 et 2011, 195 patients (sur un total de 2 157 accueillis dans cet hôpital) ont exprimé, sous une forme ou sous une autre, le souhait de mourir et 61 ont demandé formellement l’euthanasie. Six ont finalement persisté dans leur demande au cours de leur séjour dans le service[31]. Mais la mort n’est pas un soin. Prétendre soulager la souffrance en supprimant le souffrant ne peut être qualifié sans mensonge d’acte fraternel. C’est une défaite de la médecine, un renoncement à toute forme de solidarité, et même d’humanité.

Finalement, la revendication prométhéenne d’une liberté qui veut se prolonger jusque dans la mort, la volonté d’être seul maître de soi jusqu’au bout débouche sur une forme ultime d’individualisme, « un individualisme de déliaison[32] » qui sape la confiance et nous laisse seuls dans l’épreuve. Comment lorsqu’on prétend ne dépendre de personne, se tourner vers les autres pour demander de l’aide, pour solliciter un soutien et accepter de peser sur son entourage ? Chacun est seul responsable de soi, nul n’assume la responsabilité de l’autre. L’autonomie à tout prix, brandie comme un étendard, conduit à ériger un principe d’indifférence de tous à l’égard de tous. Et l’indifférence se fait aisément passer pour le respect de la liberté d’autrui. « Le choix du malade, écrit Erwan Le Morhedec, devient un rempart pratique pour abdiquer toute responsabilité médicale, éthique et finalement humaine[33] ».

La vérité est que bien loin d’être une loi de fraternité, le texte proposé est une loi de solitude, de délaissement et d’abandon, et finalement une loi qui signe la désespérance d’une vie désertée par l’amour[34].

5.     Conclusion

Ainsi que l’avait déjà énoncé l’Académie le 21 mars 2023[35], « comme le proclame l’article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, “la mort ne peut être infligée intentionnellement”. Aucune dérogation n’est concevable à cet interdit fondateur de la vie en société.

« Toute exception qui lui serait apportée minerait le socle de l’indispensable confiance que les personnes malades doivent pouvoir mettre dans les professionnels de santé. Cette confiance repose sur le serment d’Hippocrate, qui domine la déontologie des médecins : une personne malade, affaiblie, endormie ne peut s’en remettre sans crainte à ses soignants que parce que ceux-ci, par profession, protègent la vie en ayant promis de ne jamais provoquer délibérément la mort. Cette confiance serait dramatiquement emportée, pour laisser place à la méfiance et au soupçon ».

De plus, on ne légifère pas à partir des cas limites, aussi dramatiques soient-ils[36]. La législation a une vocation générale, destinée à régler un ensemble de situations sociales et non à répondre à une situation particulière, aussi délicate ou douloureuse soit-elle.

III.            Propositions

Les propositions ici présentées ne doivent pas être considérées comme une acceptation du projet de loi de 2024 ou des propositions de loi examinées en 2025. L’Académie catholique de France rappelle son souhait d’une législation renforcée relative aux soins palliatifs, pourvu évidemment qu’ils soient destinés à soulager les souffrances de la fin de vie et non à accélérer le processus terminal de cette vie. En conséquence, l’Académie redit, comme elle l’a fait clairement depuis 2012, son opposition de principe à une législation à caractère général instituant toute forme d’euthanasie et de suicide assisté.

Mais si, par malheur, cette législation venait à trouver un assentiment auprès du législateur français, il est clair que certains principes devraient être inscrits dans cette législation permettant d’abord une objection de conscience élargie proposée aux professionnels de santé, médecins, pharmaciens, personnel infirmier, aides-soignants en particulier, mais aussi aux personnels d’encadrement et de direction ainsi qu’aux personnels administratifs.

De plus, la loi devrait inscrire nettement la possibilité pour les établissements de santé, publics, associés au service public et privés, de déroger à cette législation selon leurs principes propres, éthiques et religieux spécialement, en utilisant les possibilités ouvertes par la législation de l’Union européenne relative aux « entreprises de conviction », en inscrivant explicitement dans la loi la possibilité pour ces établissements de santé de ne pas procéder à des euthanasies et suicides assistés, ni d’accepter la présence de personnels extérieurs à ces établissements qui pourraient procéder à ces actes.

 

Initialement, le projet de loi « relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie », déposé le 10 avril 2024 sur le bureau de l’Assemblée nationale (n° 2462), prévoit un titre II intitulé « Aide à mourir ». Ce texte comporte un article 16, formant à lui seul le chapitre IV « Clause de conscience » du projet de loi.

Comme l’indique l’exposé des motifs du projet de loi, « l’article 16 poursuit deux objets distincts mais complémentaires. D’une part, il institue une clause de conscience pour les professionnels de santé qui ne souhaiteraient pas participer à la procédure d’aide à mourir (I). Ils sont alors tenus, ainsi que cela est déjà prévu en matière d’interruption volontaire de grossesse, de communiquer à la personne le nom des professionnels de santé susceptibles de les remplacer. Seuls les pharmaciens ne peuvent bénéficier d’une telle clause. Par ailleurs, une hospitalisation ou un hébergement dans un EHPAD ne peut pas faire obstacle à l’accès d’une personne malade à l’aide à mourir. Ainsi, si, au sein d’un établissement de santé ou d’un établissement médico‑social, aucun médecin ne veut traiter de demande d’aide à mourir ou si aucun professionnel de santé ne souhaite accompagner une personne, le responsable de la structure sera tenu d’y permettre l’intervention à cette fin d’un autre professionnel de santé et des personnes désignées par la personne pour l’assister (II). D’autre part, cet article invite les professionnels qui seraient volontaires pour participer à la procédure d’aide à mourir à se déclarer auprès de la commission créée à l’article 17, qui centralisera ainsi les coordonnées des professionnels volontaires (III). »

Ce projet prévoyait donc deux éléments. D’abord, l’objection de conscience des « professionnels de santé », qui ne peut être que personnelle et que tout professionnel (sauf les pharmaciens) peut opposer dans les conditions légales prévues. Ensuite, l’obligation pour un établissement au sein duquel un patient accueilli ou hospitalisé souhaiterait être euthanasié ou aidé au suicide de permettre l’accès d’un médecin ou d’un infirmier aux fins de leur permettre de pratiquer cet acte, ainsi « qu’une personne de son choix » désignée par la personne qui demande une « aide active à mourir ».

Il faut donc distinguer les questions. D’une part se pose la question de l’objection de conscience des personnels des établissements dans lesquels seraient pratiqués l’euthanasie et le suicide assisté. D’autre part, il faut s’interroger sur la possibilité des établissements de santé de pouvoir bénéficier d’une clause spécifique dans la loi leur permettant d’éviter de pratiquer directement ces actes ou de laisser des personnes extérieures à l’établissement pratiquer ces actes.

 

La proposition de loi n° 1100, enregistrée à la présidence de l’Assemblée nationale le 11 mars 2005, relative à la fin de vie comporte un chapitre IV intitulé « Clause de conscience » (article 14 de la proposition de loi) et incluant dans le Code de la santé publique une sous-section 4 de la section 2 bis du chapitre Ier du titre Ier du livre Ier de la première partie de ce code, sous-section intitulée également « Clause de conscience ».

Cette proposition de loi prévoit trois dispositions différentes, ainsi rédigées :

 

Sous-section 4

Clause de conscience

 

Art. L. 1111-12-12. – I. – Les professionnels de santé mentionnés à l’article L. 1111-12-3 ainsi qu’aux I à V et au premier alinéa du VI de l’article L. 1111-12-4 ne sont pas tenus de concourir à la mise en œuvre des dispositions prévues aux sous-sections 2 et 3 de la présente section.

Le professionnel de santé qui ne souhaite pas participer à la mise en œuvre de ces dispositions doit informer sans délai la personne de son refus et lui communiquer le nom de professionnels de santé disposés à participer à cette mise en œuvre.

  1. – Lorsqu’une personne est admise dans un établissement de santé ou hébergée dans un établissement ou service mentionné à l’article L.312-1 du code de l’action sociale et des familles, le responsable de l’établissement ou du service est tenu d’y permettre:

1° L’intervention des professionnels de santé mentionnés aux articles L. 1111-12-3 et L. 1111-12-4 du présent code ;

2° L’accès des personnes mentionnées au II de l’article L. 1111-12-5.

 

III. – Les professionnels de santé qui sont disposés à participer à la mise en œuvre de la procédure prévue à la sous-section 3 de la présente section se déclarent auprès de la commission mentionnée à l’article L. 1111-12-13.

 

On relèvera d’abord que le terme de « clause de conscience » n’apparaît que dans le titre de la sous-section concernée du Code de la santé publique. Il est seulement indiqué que « le professionnel de santé qui ne souhaite pas participer à la mise en œuvre de ces dispositions doit informer sans délai la personne de son refus et lui communiquer le nom de professionnels de santé disposés à participer à cette mise en œuvre », ce qui n’exprime pas clairement l’existence d’une clause de conscience mais seulement les effets que cette clause de conscience produit, en termes d’obligations, pour le professionnel de santé.

On ajoute que le renvoi aux dispositions du Code de la santé publique fixant la liste des professionnels de santé qui peuvent revendiquer cette clause de conscience est limitative, en ce qu’elle ne comporte pas les pharmaciens, pourtant directement concernés par la confection de la « préparation létale », ce qui en fait des participants directs au processus d’euthanasie et de suicide assisté. Ce point est traité d’abord par la présente déclaration.

Ensuite, on constate que les responsables d’un établissement de santé ne peuvent s’opposer, dans leur établissement, à l’accès des personnes pouvant procéder à une euthanasie ou à un suicide assisté. C’est ce point qui sera traité ensuite par la présente déclaration.

1.      La question de la liberté de conscience : la nécessité d’une objection de conscience des personnels des établissements de santé

L’objection de conscience des personnels de santé trouve son fondement dans la liberté de conscience, liberté constitutionnelle rattachée à l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen[37].

Le Conseil constitutionnel a rappelé clairement que cette objection de conscience demeure une liberté personnelle opposable aux autres personnels de santé et aux responsables des établissements dans lesquels exerce ce professionnel[38]. Cette objection de conscience ne peut empêcher l’exercice d’actes contraires par d’autres professionnels de santé, y compris quand la personne qui fait valoir son objection de conscience est chef de service[39].

En l’état du projet de texte relatif à la fin de vie, seuls certains professionnels pourraient faire valoir leur objection de conscience, car ils sont expressément mentionnés : les médecins, les auxiliaires médicaux, les aides-soignants, les psychologues, les infirmiers. Le texte évoque également, mais sans les nommer, « d’autres professionnels… qui interviennent auprès de la personne » dont l’avis peut être recueilli et qui pourraient donc ne pas participer à la démarche « d’accompagnement » vers la mort.

La question se pose également pour la personne chargée de la mesure de protection de l’intéressé (en cas de tutelle ou curatelle notamment), dont les observations doivent être prises en compte par le médecin, et peuvent donc inclure une objection personnelle à la réalisation de l’euthanasie sur la personne protégée.

En revanche, le projet de texte écarte clairement l’objection de conscience des pharmaciens. Toutefois, il dessine un périmètre d’application en limitant le nombre de ceux concernés à une liste établie par arrêté ministériel, dont on peut espérer qu’elle ne comportera pas toutes les officines (en milieu urbain notamment) mais qui concerne certainement les pharmacies à usage intérieur (PUI), c’est-à-dire les pharmacies situées à l’intérieur des établissements de santé.

En outre, il est effectivement prévu que « si, au sein d’un établissement de santé ou d’un établissement médico-social, aucun médecin ne veut traiter de demande d’aide à mourir ou si aucun professionnel de santé ne souhaite accompagner une personne, le responsable de la structure sera tenu d’y permettre l’intervention à cette fin d’un autre professionnel de santé et des personnes désignées par la personne pour l’assister » (exposé des motifs du projet de loi n° 2462), principe repris dans la proposition de loi.

 

Il est donc nécessaire d’inscrire, dans le texte de loi, un principe d’objection de conscience proposé à d’autres personnels de santé, tels que les pharmaciens, qui sont étroitement associés au processus létal.

En effet, les pharmaciens (en particulier ceux des pharmacies à usage interne, mais aussi les pharmaciens d’officine), en ce qu’ils sont responsables de la préparation de la substance létale et de la transmission de cette « préparation magistrale létale » au professionnel de santé chargé de son administration à la personne qui a demandé une euthanasie ou un suicide assisté[40], sont directement associés au processus létal. À ce titre, ils participent au processus conduisant à l’acte de donner la mort en ce qu’ils fournissent le produit sans lequel la mort ne peut être administrée.

L’objection de conscience pourrait également être étendue aux autres personnels des établissements de santé (administratifs, soutien, technique, aide aux personnes…) qui participent indirectement aux actes accomplis dans un établissement de santé.

2.     L’inscription dans la loi d’un potentiel refus de pratiquer l’euthanasie et le suicide assisté dans les établissements de santé et la nécessaire mention de cette règle dans les valeurs fondamentales de ces établissements

La volonté, pour un établissement de santé, de ne pratiquer ni euthanasie ni suicide assisté est une autre question, qui ne relève pas de l’objection de conscience, laquelle ne concerne que des personnes physiques.

Les établissements de santé peuvent cependant faire valoir leurs valeurs, leur éthique et les principes qui ont conduit à la fondation de ces établissements. Cette éthique n’est pas nécessairement liée à des convictions religieuses mais peut exprimer une éthique de comportement ou des valeurs partagées au sein d’un groupe d’établissements.

La loi française reconnaît d’abord cette possibilité pour les établissements de santé en matière d’interruption volontaire de grossesse. Ce principe est inscrit à l’article L. 2212-8, alinéas 3, 4 et 5 du Code de la santé publique en ces termes : « Un établissement de santé privé peut refuser que des interruptions volontaires de grossesse soient pratiquées dans ses locaux. / Toutefois ce refus ne peut être opposé par un établissement de santé privé habilité à assurer le service public hospitalier que si d’autres établissements sont en mesure de répondre aux besoins locaux. / Les catégories d’établissements publics qui sont tenus de disposer des moyens permettant la pratique des interruptions volontaires de la grossesse sont fixées par décret ».

Plus généralement, le droit a reconnu la légitimité de ces principes éthiques au sein du statut des personnes morales en qualifiant ces établissements « d’entreprises de conviction ». L’expression a trouvé une application dans une directive de l’Union européenne du 27 novembre 2000[41] qui admet que les États membres peuvent maintenir ou intégrer dans leur législation des dispositions « en vertu desquelles, dans le cas des activités professionnelles d’église et d’autres organisations publiques ou privées dont l’éthique est fondée sur la religion ou les convictions, une différence de traitement fondée sur la religion ou les convictions d’une personne ne constitue pas une discrimination lorsque, par la nature de ces activités ou par le contexte dans lequel elles sont exercées, la religion ou les convictions constituent une exigence professionnelle essentielle, légitime et justifiée eu égard à l’éthique de l’organisation ».

Cette directive du 27 novembre 2000 permet ainsi à des entreprises de réglementer leur fonctionnement, en particulier dans leur règlement intérieur, en imposant le respect d’un certain nombre de règles éthiques, y compris jusqu’au vêtement (foulard, signes religieux…), fondées sur les « convictions » inscrites dans le statut de l’entreprise, sans que cette réglementation soit la source d’une discrimination condamnée par ailleurs par cette directive et par l’ensemble du droit de l’Union européenne.

En fonction de cette réglementation, directement applicable en France, un établissement de santé peut fonder un refus clair de pratiquer en son sein euthanasie et suicide assisté. Cette éthique devrait être reconnue dans un texte de loi relatif à la fin de vie.

 

Ces principes éthiques devraient également être inscrits dans les textes fondateurs des établissements de santé, comme c’est déjà le cas dans certains d’entre eux. Ainsi, des établissements de soins palliatifs ont d’ores et déjà posé l’interdiction d’actes d’euthanasie et de suicide assisté[42].

Il faudrait donc inscrire dans un texte fondamental de l’établissement l’interdiction de pratiquer de tels actes, qu’il s’agisse du statut juridique des établissements (statuts d’association, de fondation, d’établissement médico-social…) mais aussi dans tout texte de type « charte des valeurs de l’établissement » ou « règlement intérieur ». Ces principes, annexés au contrat de travail des personnels recrutés, clarifieraient la situation du personnel de ces établissements. Ce personnel devrait explicitement adhérer à ces principes de défense de la vie dans un document signé personnellement, annexé au contrat de travail. Cette protection du personnel viendrait s’ajouter aux principes inscrits dans les statuts de l’établissement de santé.

[1] L’Académie catholique de France a déjà rendu publiques trois déclarations, l’une le 19 juin 2012 sur la fin de vie, l’autre le 28 octobre 2018 sur l’indisponibilité du corps humain, enfin une communication du 21 mars 2023 intitulée « Débat national sur la fin de vie : ne jamais provoquer la mort ».

[2] Cela ne signifie aucunement une acceptation d’une forme de « sédation profonde et continue » comme l’a mis en place la loi française du 2 février 2016, dite loi « Clayes-Leonetti ». Le n° 2279 du Catéchisme de l’Église catholique rappelle seulement la règle dite « du double effet » selon laquelle le médecin traitant peut mettre en place des traitements analgésiques et sédatifs afin de répondre à la souffrance réfractaire du malade en phase avancée ou terminale, même si ces traitement peuvent avoir comme effet d’abréger la vie.

[3] La Lettre Samaritus Bonus le rappelle de la façon la plus nette à la note 38 : « Il s’agit d’une doctrine proposée de façon définitive, dans laquelle l’Église engage son infaillibilité : cf. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Note doctrinale illustrant la formule conclusive de la Professio fidei, 29 juin 1998, n° 11 ; AAS 90 (1998), 550 ».

[4] C’est ce passage que l’on peut considérer comme énonçant les principes relevant du Magistère de l’Église catholique.

[5] Projet de loi n° 2962, exposé des motifs.

[6] Proposition n° 1100, Exposé des motifs.

[7] Dicastère pour la Doctrine de la foi, déclaration Dignitas infinita, 2 avril 2024, n° 22.

[8] Décision n° 94-343/344 DC du 27 juillet 1994.

[9] Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine, adoptée par le Conseil de l’Europe le 4 avril 1997.

[10] Audition devant la 1ère commission Leonetti, 2004.

[11] Sur ce retournement, v. N. Huten, « Le renversement des relations entre euthanasie et dignité dans le droit contemporain », in Euthanasie, droit et religions, dir. P.-L. Boyer, Presses universitaires Rhin et Danube, 2024, p. 121.

[12] Dignitas infinita précitée, n° 15.

[13] M. Fabre-Magnan, La dignité en droit : un axiome, Revue interdisciplinaire d’études juridiques, 2007 p. 1 et s.

[14] M. de Montaigne, Essais, III, 2, Du repentir.

[15] Sur cette question, voir Ch. Bahurel, « Réflexions juridiques sur la volonté de mourir », in Euthanasie, droit et religions, op. cit. p. 113 et s. V. aussi L. Cimar, « Considérations juridiques sur l’expression de la volonté en fin de vie », Médecine et droit 2012, p. 99 et s.

[16] « Ne touchez pas l’intouchable ! », préface à l’ouvrage de J. Ricot, Penser la fin de vie, Hygée éd., 2e éd. 2019, p. 10. Rappelons que Philippe Pozzo di Borgo est devenu tétraplégique après un accident de parapente à l’âge de 42 ans. Il est mort en 2023 à l’âge de 72 ans. Son histoire a inspiré le film Intouchables.

[17] R. Gourevitch et E. Le Morhedec, « Euthanasie : en marche vers un désastre législatif français ? », Atlantico, 18 mai 2024, https://atlantico.fr/article/decryptage/euthanasie-en-marche-vers-un-desastre-legislatif-francais-patients-texte-de-loi-deputes-debats-amendements-legislation-permissif-projet-de-loi-fin-de-vie-assemblee-nationale-majorite-opposition-raphael-gourevitch-erwan-le-morhedec

[18] Conseil constitutionnel, n° 2022-1022 QPC, 10 novembre 2022.

[19] R. Libchaber, « Une difficile conciliation : euthanasie et liberté », D. 2015, p. 1833.

[20] D. Legay, « Les enjeux philosophiques de l’euthanasie », Euthanasie, droit et religions, op. cit., p. 29 et s.

[21] E. Le Morhedec, Fin de vie en République, avant d’éteindre la lumière, éd. du Cerf, 2021, p. 102.

[22] A. Cheynet de Beaupré, « Les verrous impossibles du projet de loi », Euthanasie, droit et religions, op. cit., p. 139.

[23] R. Holcman, « Légaliser l’euthanasie : une ultime injustice sociale », E. Hirsch (dir.), Fins de vie, éthique et société, éd. Erès, 2016, p. 663.

[24] S. Danet, « Les inégalités sociales de santé : comment les appréhende-t-on ? », Revue adsp, n° 73, décembre 2010, p. 8 et s.

[25] https://www.genethique.org/pauvrete-obesite-deuil-des-euthanasies-moralement-eprouvantes-au-canada/

[26] https://www.genethique.org/leuthanasie-des-bien-portants-des-75-ans-pour-vie-accomplie-bientot-aux-pays-bas/

[27] https://www.genethique.org/canada-1200-euthanasies-en-plus-149-millions-de-dollars-de-frais-de-sante-en-moins/

[28] Par exemple : https://www.mgen.fr/le-groupe-mgen/mutuelle-engagee/fin-de-vie/

[29] https://www.lefigaro.fr/actualite-france/jean-marc-sauve-l-aide-a-mourir-c-est-l-ultime-ruse-du-liberalisme-pour-faire-des-economies-sur-l-etat-providence-20240513. V. aussi P. Favre et Y.-M. Doublet, Les non-dits économiques et sociaux du débat sur la fin de vie, Étude Fondapol, 2025, https://www.fondapol.org/etude/les-non-dits-economiques-et-sociaux-du-debat-sur-la-fin-de-vie/

[30] « Appeler “loi de fraternité” un texte qui ouvre à la fois le suicide assisté et l’euthanasie est une tromperie », La Croix, 11 mars 2024.

[31] F. Guirimand, E. Dubois, L. Laporte, J.-F. Richard et D. Leboul, « Souhait de mourir et demande explicite d’euthanasie dans un hôpital de soins palliatifs », Médecine palliative, soins de support et accompagnement éthique, 2016, p. 86 et s. BMC Palliative Care : http://dx.doi.org/10.1186/1472-684X-13-53. Sur ces six personnes, une a bénéficié d’une sédation continue, les autres de traitements sédatifs, anxiolytiques ou antidépresseurs. Sur ce point, V. aussi les nombreux exemples donnés par E. Le Morhedec, op. cit., passim et notamment p. 153 et s.

[32] Cette formule est de Marcel Gauchet, La Démocratie contre elle-même, éd. Gallimard, 2002, p. 245.

[33] Op. cit., p. 197.

[34] Ch. Bahurel, loc. cit., p. 119.

[35] Académie catholique de France, Débat national sur la fin de vie : ne jamais provoquer la mort, communication du 21 mars 2023.

[36] On pense par exemple à la maladie de Charcot, souvent invoquée.

[37] Article 10, Déclaration de 1789 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ».

[38] Conseil constitutionnel, n° 2002-446 DC, 27 juin 2001, Loi relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception (dite « loi I.V.G. II »).

[39] Conseil constitutionnel, décision précitée.

[40] Article 8 du projet de loi : « VI. – Le médecin mentionné à l’article 7 prescrit la substance létale conformément aux recommandations prévues au 23° de l’article L. 161-37 du code de la sécurité sociale. / Il adresse cette prescription à l’une des pharmacies à usage intérieur désignées par l’arrêté du ministre chargé de la santé mentionné au second alinéa du 1° de l’article L. 5121-1 du code de la santé publique. »

Article 10 du projet de loi : « Lorsque la date est fixée, la pharmacie à usage intérieur mentionnée au second alinéa du VI de l’article 8 réalise la préparation magistrale létale et la transmet à la pharmacie d’officine désignée par le médecin ou l’infirmier chargé d’accompagner la personne. La pharmacie d’officine délivre la préparation magistrale létale au médecin ou à l’infirmier. / Lorsque la personne est admise ou hébergée dans un établissement qui est doté d’une pharmacie à usage intérieur, cette dernière remplit les missions de la pharmacie d’officine prévues dans le présent article. » Ces dispositions sont reprises dans la proposition de loi n° 1100.

[41] Directive n° 2000/78/CE, 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail.

[42] On pense aux établissements des Dames du Calvaire, comme la Maison médicale Jeanne-Garnier à Paris, qui ont en commun une « Charte des associations et œuvres des Dames du Calvaire » inscrivant expressément que « le recours à l’euthanasie définie comme aide active à mourir est totalement exclu ». L’Alliance des maternités catholiques a édicté un « Document fondamental des maternités catholiques » qui se réfère à l’enseignement moral de l’Église catholique exprimé par le magistère et qui fixe les grandes orientations de ce groupe de maternités.